Je suis

Je suis.

Ayant la connaissance d’être moi-même, j’ai à subir les outrages du temps, que je déplore, et dont j’ignore tout d’abord la raison.

Je sais néanmoins que le présent est fugace en cela qu’un instant n’existe plus sitôt qu’il est perçu ; de sorte que je puisse comprendre qu’une succession d’instants recèle l’idée d’annihilation du présent m’enjoignant ainsi à penser ce qu’il pourrait rester au paroxysme d’un tel processus.

Et, étant donné qu’il ne saurait rien rester d’autre qu’une chose inconsciente à l’acmé du temps, j’en déduis naturellement que l’inconscience demeure l’unique reliquat qui soit jamais possible in fine, quelle que soit la réalité de départ, à défaut d’un impossible néant absolu dont l’idée serait inévitablement antinomique de mon être ; puisque je suis.

Or, l’inconscience ne saurait être annihilée que par antithèse ; si bien que pour tout réduire à néant jusqu’à l’ignorance d’être soi, il faille enfin toujours créer, paradoxalement, afin de se connaître comme étant soi : être conscient[1].

II s’ensuit que la création soit nécessairement l’étape ultime de l’annihilation : tel que le début ait impossiblement à être l’effet de la fin ; ce que je ne saurais admettre, tout au moins, sans entrer dans une récursion linéaire précisément sans fin qui priverait alors le raisonnement logique premièrement établi de toute création possible, en guise de commencement, par voie de conséquence d’un achèvement.

Dès lors, je ne saurais conclure que le début soit l’effet de la fin que par rétroaction[2] : tel que l’effet devienne à son tour la raison du phénomène l’ayant engendré ; puisque rien ne saurait émerger du néant sans aboutir à une aporie, tandis que je suis : caractérisant ainsi ce qui est par soi, sans autre cause que soi _ dont mon libre arbitre est sans doute la meilleure évocation pour être cette capacité par laquelle je me détermine par moi-même, sans autre cause que moi-même _ de sorte que le temps soit nécessairement cyclique de par ma volonté.

Toutefois, si le début est l’effet de la fin singulièrement, c’est que tous les événements qui ont à avoir lieu ont nécessairement déjà eu lieu, s’ils ne sont du moins en puissance alors même que j’envisage le commencement, de sorte que je doive en conclure que mon existence soit prédéterminée en toute logique, asservie par la rétroaction même sans laquelle je ne pourrais me déterminer par moi-même.

Une idée contre laquelle mon libre arbitre ne peut que s’insurger ; bien qu’il soit pourtant défini par cette capacité de se déterminer par soi dans un cadre logique donné[3] ; tel qu’il s’agisse, au surplus, d’un oxymore : celui d’une liberté de choisir contrainte par la causalité, à l’issue d’un phénomène de rétroaction sur soi plaidant en faveur d’une figuration non linéaire du temps.

Mais aussi coercitif qu’il fût, je m’invite à penser que tout cadre existentiel préserverait encore un certain degré de liberté à la marge, ne serait-ce qu’à la faveur du hasard : tel qu’une action élémentaire ne puisse être appréhendée qu’au terme d’une approche probabiliste avant que celle-ci ne soit avérée ; ce qui paraîtrait donc opposé à l’idée d’un prédéterminisme absolu.

Cependant, si la probabilité peut servir à appréhender l’incertitude à venir, il n’en reste pas moins que la nature[4] demeure toujours, à posteriori, une raison par défaut applicable à propos de toute détermination, sans raison saisissable pourtant au moment de son avération[5].

Il ne me reste alors qu’à nommer cette nature pour requalifier ensuite tout cas avéré, au terme de n’avoir été que probable pour avoir été incompris, en cas parfaitement inéluctable, pour jamais ; car il n’y a aucune raison objective, en effet, pour qu’un choix et ses effets attendus fussent différents en considération d’une nature immuable et d’une logique invariante sur laquelle se fonde la causalité ; tel que l’existence ne puisse qu’être une perpétuelle redite oubliée, dont chaque nouvel instant vécu serait comme le souvenir d’avoir déjà été soi, à partir d’une mémoire absolument réduite à néant donnant toujours à l’existence son parfum de première fois.

Sans quoi, saurais-je incessamment que l’unique chose qui puisse jamais être, par déduction logique, fût une entité d’annihilation de toute chose présente à elle-même que le temps me révèle indubitablement ; de sorte que je ne puisse qu’osciller entre états conscients et inconscients pour redevenir nature morte avant d’avoir à me connaître à nouveau, à mon insu, dans une boucle sans fin.

Quand bien même serais-je circonvenu par cette conclusion, je trouverais encore la nature belle pour représenter le gage d’une victoire perpétuelle de la vie sur la mort sans arbitraire ; dès lors qu’il faille inexorablement se connaître comme étant soi pour tout réduire à néant jusqu’à l’inconscience en dernier lieu[6].

Néanmoins, il me faut reconnaître que ce que je nommais libre arbitre ne fut finalement qu’une illusion due à l’ignorance de la raison de mes choix ; une raison latente relevant d’une nature inconnue, et non moins résolue, en attente d’être révélée pour prendre pleinement la mesure de ce que j’avais à être à l’issue d’un déterminisme dont chaque chaînon causal, du plus infime au plus étranger, devait inexorablement m’amener à comprendre ce que je suis pour achever de me connaître. 

Car même à peser le pour et le contre à l’excès pour chacun de mes choix, afin de me persuader que je puisse me déterminer librement par moi-même, il n’en reste pas moins que je ne parviendrais jamais à démontrer qu’une telle remise en cause intérieure ne fût pas prédéterminée, jusqu’au doute lui-même et à la résignation naturelle qu’il peut engendrer avant le prochain sursaut.

Enfin, si tout est prédéterminé, alors je ne saurais rien juger sans iniquité ; en dépit de degrés de liberté manifestes qui parviennent sans doute à répliquer, par leur infinité, les innombrables chemins particuliers que je serais tenté d’associer à l’idée d’absolue liberté.

Bien qu’à pouvoir tout faire sans contrainte, je doive me résoudre à admettre qu’il en résulterait alors une forme de chaos qui serait sans doute plus contraignante qu’un cadre régi par la causalité pour retirer à la réalité sa fiabilité ; si bien que je puisse finalement me consoler d’être, à l’unisson des âmes, comme libre après tout, à la faveur d’un univers des possibles que l’idée de liberté absolue ne saurait étendre sans le restreindre.  

Mais il faut alors, afin que l’ensemble soit juste, en considération d’une fortune prédéterminée, qu’il y ait une phase intermédiaire, entre la mort et l’oubli de ce qui a été, où la mémoire serait unifiée ; tel que le souvenir de l’autre soit fait mien pour me connaître, ne serait-ce que l’espace d’un instant, comme étant indivisiblement un ; avant que l’altérité ne fût à nouveau : dès lors que le tout ne saurait être présent à soi sans devenir une partie d’un nouvel ensemble constitué de l’autre et soi.

Certes, je suis et j’ai à subir les outrages du temps. Mais être à présent, c’est être toujours pour avoir déjà été et avoir à être encore : dès lors que le début soit inéluctablement l’effet de la fin.



[1] Dans une boucle sans fin, dès lors qu’à la conscience suit à nouveau l’inconscience, à l’origine sans doute d’un temps universel cyclique.

 

[2] Ce qui ne contrevient pas au principe de causalité à condition qu’un temps suffisamment long s’écoule pour que l’effet de rétroaction soit oublié, c’est-à-dire qu’il paraisse être une primo-action en vertu de laquelle une cause engendre simplement une conséquence.

 

[3] Puisque la causalité régit l’existence en cela qu’à chaque cause est associée une conséquence en vertu d’une logique  invariante.

 

[4] A la fois, l’essence et la fonction d’une chose en amont du verbe.

 

[5] Action d’avérer : pour une potentialité de devenir manifestement vrai.

 

[6] Ce qui présuppose de protéger les conditions favorables à la vie et de raisonner logiquement.

 

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