De la Mémoire

Nous ouvrons nos yeux sur le monde et connaissons, de manière innée, la beauté de la fleur en amont du verbe. Nous pensons ensuite la fleur pour la définir comme étant une chose de la nature belle à offrir. Nous jugeons enfin des fleurs qui nous plaisent. Pour en disposer un bouquet à un endroit précis que nous pouvons quitter pour y revenir après.

Toutefois, le bouquet serait toujours là en revenant au même endroit en l’absence d’interventions extérieures. Tandis que certaines fleurs accuseraient sans doute les effets du temps sans qu’un observateur individuel n’ait eu besoin d’en être le témoin constant.

Cela présuppose donc que l’action première consistant à disposer un bouquet, dans certaines circonstances précises, soit gardée en mémoire. Et que la causalité ait pu s’y appliquer afin que l’aspect visuel du bouquet évoluât logiquement.

Cependant, encore faut-il que cette mémorisation soit continue de sorte que le dernier instant perçu devienne la cause du suivant pour qu’au bon moment, un pétale puisse tomber du bouquet sur la table où il est disposé : sans quoi la causalité serait une cause perdue du fait de ne pouvoir identifier en mémoire la dernière cause à partir de laquelle une conséquence devrait être associée.

Mais alors, en l’absence d’observateur individuel, qui perçoit le bouquet dans la pièce fermée où il se trouve afin que chaque instant puisse être mémorisé et que la causalité puisse ainsi s’appliquer invariablement en offrant l’image d’une réalité cohérente ?

Pour y répondre, il est nécessaire de se demander ce qu’il serait possible de connaître avant de se connaître et après s’être connu. Car si l’ignorance d’être soi est l’unique chose qu’il soit possible de connaître avant de se connaître (l’état d’avant naître où nous ne serions que nature inconsciente), il est raisonnable de penser que l’unique chose qu’il soit possible de connaître après s’être connu soit ce que nous étions pour n’être alors que mémoire indivisible de toute chose de laquelle une perception d’un seul regard objectif peut émaner ; ce qui donnerait ainsi un fondement ontologique à l’intrication.

Ceci étant dit, nous existons en ayant l’idée du néant. Or, concevoir le néant par l’esprit, c’est annihiler toute chose présente à soi, jusqu’à soi, de sorte qu’au paroxysme d’un tel processus, quelle que soit la réalité de départ, l’inconscience demeure l’unique reliquat qui soit jamais possible. Si bien que pour tout réduire à néant jusqu’à l’ignorance d’être soi, il faille enfin toujours créer, paradoxalement, afin de se connaître : être conscient.

Il s’ensuit que l’unique chose, qui puisse jamais être par déduction logique dans ce contexte, soit une entité d’annihilation de toute chose présente à elle-même jusqu’à sa propre inconscience : ce qui est assez logique dans la mesure où il n’y a aucune raison objective pour qu’il y ait quelque chose plutôt que rien hormis l’annihilation perpétuelle, paradoxalement, en admettant alors que l’inconscience demeure l’unique reliquat qui soit jamais possible au paroxysme d’un tel processus. 

Cependant, sans mémoire de soi, rien ne saurait être accompli de façon cohérente, pas même l’annihilation, de sorte que la réalité ne serait qu’une succession d’instants parfaitement méconnaissables. Ce qui n’est pas le cas. Si bien que l’unique entité, qui puisse jamais être par déduction logique, soit finalement : La Mémoire, en tant que faculté, dont la fonction serait l’annihilation de ce qui est présent. C’est sans doute la raison pour laquelle une mémorisation sonne toujours le glas de l’instant présent puisqu’il n’est possible de garder en mémoire que ce qui a été.

Dès lors, l’unique transition possible entre la mémoire consciente de toute chose, accessible après s’être connu, et l’ignorance d’être soi, dont la nature inconsciente serait l’état correspondant avant de se connaître, serait l’oubli frappant le souvenir de tout, lorsqu’il se risque à revenir à La Mémoire par réminiscence commune dans l’au-delà.

Mais le souvenir n’est jamais vraiment effacé par l’oubli pour n’être que momentanément perdu au sein d’un abîme inconscient le temps que le sujet conscient parvienne à émerger pour se rappeler à lui-même par la pensée à partir de rien. Tandis que La Mémoire, en tant que faculté, serait toujours par elle-même pour n’être jamais présente à soi.

In fine, la vérité ne serait donc pas si triste dès lors que l’annihilation représentât le gage d’une victoire perpétuelle de la vie sur la mort tout en épargnant La Mémoire transcendante. Bien qu’elle puisse être dure s’il faut perpétuellement juger du souvenir du soi d’un seul regard objectif après être devenu tout de manière indivisible. Afin qu’il ne restât rien, et qu’à partir de rien, il faille encore se connaître dans une boucle sans fin.


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