De l’Aliénation

De l’Aliénation

 

A priori, il serait logique qu’il n’y ait rien plutôt que quelque chose puisque rien ne saurait émerger du néant sans aboutir à une aporie.

 

Or, nous existons en ayant l’idée du néant. Dès lors, la question de la conception du néant s’impose. Concevoir le néant par l’esprit, c’est annihiler de façon récursive toute chose présente à soi.

 

Mais au paroxysme d’un tel processus, quelle que soit la réalité de départ, il faudrait malgré tout qu’il restât l’entité capable de tout annihiler qui aurait encore à juger de sa propre inconscience pour ne plus être alors présente à elle-même. L’énergie rémanente de l’annihilation entre matière et antimatière en est sans doute l’allégorie car même à vouloir tout annihiler, il resterait encore quelque chose.

 

L’être doué de conscience correspondrait ainsi à l’acmé d’un processus d’annihilation perpétuel dont l’unique reliquat possible à juger, en l'absence de concept plus fondamental qu'être, serait jamais que l’ignorance d’être soi, cette métaphore sensible du néant que seule la mort inspire.

 

Car l’inconscience ne saurait être annihilée que par la conscience, la mort par la vie, de sorte que pour tout réduire à néant jusqu’à l’ignorance d’être soi, il faille enfin toujours créer paradoxalement.

 

L’être humain deviendrait ainsi, de manière insoupçonnée, la partie consciente d’une entité d’annihilation de toute chose présente à elle-même jusqu’à sa propre inconscience. L’impression du Temps qui passe en serait d’ailleurs la manifestation la plus évidente puisqu’une succession d’instants recèle l’idée d’annihilation de ce qui est présent à soi.

 

Enfin, le néant ne saurait donc constituer l’aporie d’un milieu ontologisant mais plutôt l’évocation sensible de l’inconscience. Car sans conscience, au diable l’éternité puisque cela équivaudrait alors à n’être pas de sorte qu’aucune différence sensible ne pourrait jamais être mise en évidence entre un tel état et le néant.

 *

Ceci étant, si l’ignorance d’être soi, l’inconscience, ne saurait être annihilée que par la connaissance d’être soi, la conscience, qu’en serait-il alors de l’annihilation de cette dernière ?

 

L’annihilation étant de nature antithétique, il ne pourrait donc s’agir inversement _ sur le chemin menant à l’inconscience, irrémissible lorsque le souvenir sombre dans l’oubli _ que d’une aliénation du soi ; car il n’est possible de s’oublier qu’en devenant peu à peu étranger à soi.

 

L’être doué de conscience aura donc naturellement tendance à se rendre étranger à lui-même en usant des moyens suivants :

 

-Détruire le naturel de sorte qu’il ne puisse plus se rappeler à lui-même pour devenir autre chose plus aisément ;

 

-Se soumettre à toute forme d’altérité _ dont le germe relève nécessairement toujours de la minorité pour le plus grand nombre _ puisque ce qui est autre n’est pas ce qui est soi ;

 

-Sombrer dans une forme d’apathie pour devenir le témoin passif de sa propre vie et finir par la subir ;

 

-Cultiver l’insincérité puisque sans réflexion sincère, il ne peut y avoir de vérité du soi ;

 

Cause et conséquence n’étant jamais confondues en vertu du principe de causalité, l’aliénation du soi ne saurait donc être que progressive.

 

Dès lors, le progrès pourrait apparaître comme la marche insoupçonnée d’un processus d’annihilation du soi jusqu’à devenir, envers et contre soi, totalement étranger in fine.

 

Quant à la véracité, celle-ci ne saurait que correspondre à une annihilation de la vérité conférant à la perception des propriétés d’autant plus captieuses qu’à la causalité, nous substituons la corrélation affectée pour conjurer nos maux.

 

Le cœur n’a alors pour seuls remparts que la raison logique et notre devoir de mémoire pour ne pas se trahir lui-même à son insu.

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